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Vernissage Jacky Gabriel , texte de Patrick RUDAZ

Evoquer Jacky Gabriel, c'est pratiquement écrire l'histoire du musée, tant il est lié à notre thème favori: le papier. Notre première rencontre remonte à 1993 lors de la première Triennale internationale du papier. Il y présentait un cercle de terre et de papier, un temps où le rond le préoccupait. Retrouvailles en 1996, il participe à l'exposition papier éphémère dans le cadre de la deuxième triennale. Et déjà le journal, la récupération, le recyclage. La Gruyère collectionnée par sa mère, fribourgeoise de Genève, revenait au pays en colonnes noires et blanches, en un grand drapeau qui, hélas, n'a pas résisté bien longtemps àl'orage. Et en 1999, il est lauréat du troisième prix de la troisième Triennale internationale du papier. Son oeuvre Papier dans la ville capte l'ultime errance de ce témoin de nos grandes et petites histoires par l'image, la matière et le son, un triptyque des sens : la vue, l'ouïe et le toucher. Et aujourd'hui il nous offre l'aboutissement de ce projet au travers de l'image fixe et mobile, du son et du papier.

Toute distance entre art et société est abolie d'emblée, dans ce corridor des cartons, cordon ombilical urbain. Le papier fonctionne comme le miroir d'un homme en quête d'origines. C'est loin la Gruyère ? C'est loin Genève ? Ca dépend de l'itinéraire. Genève et Fribourg s'affirment comme dénominateur commun, paradigme de la cité, espace de ce papier dans la ville. De quais en musée, du jet d'eau à la cathédrale saint-Nicolas, toujours le papier attend sur le trottoir, devant la porte ou la fenêtre, dans l'indifférence. Et toujours le papier, somme d'histoires, témoin d'une consommation débridée, en transition de la rue à la benne, du camion à la décharge.

Chaque image, composée, mise en scène, en révèle un aspect, une direction, entre air et feu, entre origines et racines. Jacky Gabriel a tout ramené au carré et les perspectives fuient, les arbres dansent, les hommes ploient. Et volonté ultime ces gros plans qui inscrivent l'espace dans sa géométrie, en redessinent une géographie intime. Jacky Gabriel voit double et sent triple, en procès avec les parallèles, en guerre avec les perspectives. De ces mises en scène surgit une réalité exacerbée, cartographie de l'oubli, quête passionnelle de l'origine, de l'originel.

Et voilà le musée partiellement transformé en ville, en décharge, en espace bruissant de la vie de ce papier en transit. L'oeuvre de Jacky Gabriel, gruyérien de Genève, résonne étrangement avec notre exposition permanente, autre volet d'un monde qui nous échappe et dans lequel il nous faudra bien nous orienter.

Cette exposition se prolonge dans un ouvrage au titre identique "papier dans la ville". On y retrouve la majorité des photographies exposées ici. Et ultime prolongation les textes de Françoise-Hélène Brou qui a ramené, de ses années africaines, cette douce exubérance qu'elle narre en des textes triturés, malaxés comme recyclés. La pensée se reflète alors dans le papier en quête d'un quotidien autre, d'une perception nôtre. Elle a sciemment évité le piège du pléonasme et sa prose navigue entre l'organique et l'organisé, entre la narration et la poésie.

Patrick RUDAZ

Conservateur du Musée du pays et Val de Charmey

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