La série de peinture intitulée "Ouverture" explore ce que Kandinsky a défini comme le "plan originel" et dont la forme la plus objective est représentée par le carré. Surface vierge d'abord, le plan devient ensuite porteur du contenu de l'oeuvre, d'un double contenu : celui des matières et des formes et celui du sens.
Si je me réfère à Kandinsky, c'est parce qu'il fut le premier peintre du 20e siècle à postuler que "l'image est le lieu exemplaire pour la révélation de l'Esprit" et que sa comphréention, désormais, ne dépendrait plus que de la qualité liée à la figuration, mais à la composition résultant d'une nécessité intérieure, qu'on dit aussi "loi intérieure". Les compositions de Jacky Gabriel, à cet égard, travaillent puissamment ces deux niveaux de contenu du plan que nous venons d'évoquer. Travail sur les matières et les formes, travail sur les sens des images et de leur rhétorique abstraite.
Matières et formes
La question de la facture passe souvent au second plan de l'intérêt suscité par une oeuvre car le produit fini a pour effet de barrer l'accés à sa généalogie morphologique et sémantique. Or la communication artistique, comme la communication verbale, ne se réduit pas à de purs concepts, elle passe par une instrumentation matérielle pour se manifester. Cette instrumentation résulte d'une rigoureuse sélection des moyens à disposition, et au terme d'une évaluation, l'artiste choisit les instruments ad hoc pour traduire et projeter sur le plan du tableau sa "nécessité intérieure". C'est pourquoi il faut admettre que l'instrumentation fait partie intégrante de la signification de l'oeuvre.
Chez Jacky Gabriel, les opérateurs matériels s'opposent fortment aux opérateurs formels. D'un côté se déploie un univers hautement solidifié : bois, terre, sable, pigments; de l'autre se profile un univers immatériel de géométrie euclidiennne. Situation d'affontement dialectique où les formes tenteraient d'imposer une organisation à la matière obstinément brute et informe.
On voit alors se dessiner la métaphore du processus créatif, cette confrontation du pensé, soit de l'esprit, à celle du non-pensé de la matière de laquelle surgira une entité nouvell pourvue d'un corps auquel on donnera un nom. Mais parfois l'entreprise avorte et l'image retourne à la matière insigifiée. Certaines ouvertures mènent à des impasses.
Entre matérialisation constructive et dématérialisation compositionnelle, entre forces instinctives et spéculations rationneélles, les variations sur l'"Ouverture" proposée par Jacky Gabriel esthétisent et poétisent l'aventure aléatoire du vivant et notamment lorqu'il est soudainement touché par l'étincelle de l'Esprit. Un antique scénario illustré autrefois par Michel-Ange sur les plafonds de la Sixtine mais que Jacky Gabriel transpose en termes de non-figuration, un choix qui se révèle judicieux puisque, nous le savons, l'esprit n'a pas de visage.
Françoise-Hélène
Brou septembre 1997